Carte Paris-Île-de-France

La réalité du phénomène

L’Ordre des experts comptables a recensé sur une vingtaine d’années plus de 6000 illégaux sur son ressort de compétence, à Paris et dans les sept départements franciliens.

Au regard des 6500 experts comptables inscrits au Tableau de l’Ordre, l’ampleur du phénomène est immédiatement perceptible.

Ces comptables illégaux sont le plus fréquemment identifiés sous la rubrique « Conseil pour les affaires et autres conseils de gestion » (Code APE INSEE 7022Z), mais également dans les « Autres activités de soutien aux entreprises » (Code 82.99Z), voire « Photocopie, préparation de documents et autres activités de soutien de bureau » (Code 82.19Z), ou encore « Services administratifs combinés de bureau » (Code 82.11Z) , voire enfin « Secrétariat et traduction » (code 74.8F), qui comprend notamment les sociétés de domiciliation.

Sur un plan pratique, les services spécialisés de l’Ordre ont enregistré depuis 2008 environ 1800 signalements avec une accentuation très nettement marquée depuis les dernières années soit près d’un signalement par jour ouvré.

Clé de voûte d’une économie grise voire totalement souterraine

Les manipulateurs de chiffres occupent une position stratégique dans le domaine de la fraude et lui permettent de revêtir les aspects les plus divers. La production de faux documents, financiers, sociaux, fiscaux, voire bancaires constitue leur domaine de prédilection. À la différence des experts comptables, ils ne sont soumis à aucune règle déontologique, s’affranchissant de toute marque d’indépendance, ils peuvent servir sans limite les « intérêts » de leurs clients et prospérer dans un créneau intermédiaire situé au confluent de l’économie souterraine et de l’activité économique légale.

Cette clientèle est principalement composée de petites structures ; il s’agit d’un terreau favorable puisque 94% des 947 750 entreprises parisiennes et franciliennes sont des TPE.

L’absence fréquente de l’expert-comptable au sein de ces entités tient à plusieurs facteurs qui concernent souvent l’appartenance à une même catégorie socio-professionnelle de cette clientèle, son ignorance de la profession d’expert-comptable ainsi que les préjugés sur le caractère excessif des honoraires. Mais surtout, cette clientèle souhaite pouvoir « arranger » les écritures reflétant son activité dans le sens de ses intérêts avec la bienveillance attendue des délinquants du chiffre.

Les principales manifestations de ce délit

Fraude fiscale

Chaque officine gère plusieurs dizaines de clients, voire parfois des centaines.

Bien souvent, ces illégaux sont signalés à l’Ordre à l’occasion ou à la suite de redressements fiscaux et/ou sociaux entraînant des redressements importants, sans rapport avec les facultés contributives des intéressés, qui peuvent conduire à la disparition de leur entreprise.

Les comptables illégaux produisent une comptabilité adaptée selon la destination des bilans et des documents financiers. Il n’est pas rare, lors de perquisitions opérées dans les locaux des officines, que des instructions émanant des clients et figurant notamment sur des post-it, indiquent « ramener les recettes à …. », « augmenter les charges de …… » ou encore « réduire la TVA de….. ».

Il est courant de découvrir au sein de la même société, deux, voire trois, bilans différents : un pour la banque, un pour le fisc et le dernier pour le client.

De nombreuses procédures de fraude fiscale concernant les petites entreprises intègrent bien souvent des comptables irréguliers dont la responsabilité personnelle peut être recherchée au plan pénal.

Travail illégal

Dans quasiment tous les dossiers de travail illégal portés à la connaissance de l’Ordre, apparaissent des illégaux qui tentent de donner une apparence de légalité à des activités liées aux délits considérés.

On retrouve ainsi régulièrement des fausses fiches de paie et des attestations de travail frauduleuses.

En effet, le système mis en place qui repose sur l’existence de travailleurs non déclarés payés en espèces nécessite le recours à des fausses factures permettant le décaissement ; dans certains cas, pour légitimer les paiements, les salaires sont déguisés en honoraires de consultants.

Un tel montage repose sur une ingénierie comptable que seuls des comptables non-inscrits au tableau de l’ordre acceptent de pratiquer.

Fraudes aux prestations sociales

Parallèlement au travail illégal, d’importants préjudices sont causés aux organismes sociaux.

De véritables kits sont même proposés par ces mêmes officines.

Intégrées dans des réseaux d’entreprises éphémères, « gérées » par des dirigeants de paille, ou qui ignorent parfois eux-mêmes cette situation, puisque leur état civil a été usurpé et utilisé à la suite du vol de leurs pièces d’identité, elles formalisent des embauches fictives, fortement rémunérées, d’individus recrutés sur la voie publique, à la veille de la liquidation des entreprises et qui peuvent ensuite, bénéficier d’indemnités pour perte d’emploi (Pôle Emploi).

Le régime de garantie des salaires (AGS) subit également de nombreux préjudices liés à ces mises en scène. Le gain moyen des prestations indues sur une brève période de 18 mois est estimé à 150 k€ par « bénéficiaire », qui reverse ensuite immédiatement et dès son retrait par carte bancaire, la moitié du détournement au concepteur de l’escroquerie.

Celui-ci est difficilement identifiable ; mobile et déterminé, il peut intervenir directement sur le terrain depuis un lieu aléatoire (terrasse de café) en étant connecté grâce à une liaison wifi.

Présentation d’états financiers falsifiés et détournements d’actifs

Les comptables illégaux occupent une position clé dans la commission des délits qui affectent directement les sociétés à travers la possibilité « d’habiller » les situations financières destinées à dissimuler la commission d’infractions pénales.

Toutes les manipulations peuvent être rencontrées à travers la présentation de comptes falsifiés qui visent notamment à surévaluer les actifs et à sous-évaluer les passifs et les charges.

On rencontre les délits habituels liés à ce type de manipulations comptables : abus de biens sociaux, détournements d’actifs, présentation de faux bilans.

Escroqueries aggravées en bande organisée

Les plus importantes qui ont été constatées concernent des faits commis au détriment de sociétés de financement de véhicules et de matériels ; elles commencent, maintenant, à toucher des plateformes de crowdfunding.

Elles utilisent le vecteur de la fraude documentaire par la présentation de bilans, comptes de résultat et annexes contrefaits qui sont produits à la demande des donneurs d’ordre.

Ce secteur est investi par des délinquants qui se sont signalés dans le passé dans différents secteurs de la criminalité, dont notamment les escroqueries à la TVA dites « à la taxe carbone ».

De nombreux véhicules de luxe sont ainsi détournés et exfiltrés vers les pays de l’Est et vers l’Afrique, grâce à des filières organisées.

Le prix d’un « pack comptable » est d’environ 10 000 € et comprend faux papiers d’identité et fausses domiciliations. Il peut également intégrer des faux rapports de commissaires aux comptes.

Des sociétés éphémères, créées pour les besoins de la cause interviennent fréquemment dans le déroulement de ces infractions.

Blanchiment de fonds

Membres d’une profession réglementée, les experts comptables sont soumis à l’obligation de déclaration de soupçon auprès de TRACFIN en cas de suspicion de blanchiment d’un de leurs clients au même titre que les commissaires aux comptes.

Cette obligation a pour fondement la mission qui leur est confiée de contribuer au respect de l’ordre public économique.

Les dernières années témoignent de l’importance apportée par la profession à cette obligation puisque le nombre des déclarations de soupçon adressées à TRACFIN a nettement augmenté.

A contrario, les illégaux ne sont bien évidemment pas soumis à la même obligation.

Ils sont la voie idéale permettant d’intégrer des recettes et des ressources fictives ou de procéder au blanchiment de fraude fiscale en créant irrégulièrement des charges et en minorant les ressources.

Ici encore, complicité de fraude fiscale et blanchiment du délit coexistent très fréquemment, ce que confirment les premières affaires intégrées de blanchiment d’exercice illégal et de fraude fiscale jugées par les tribunaux qui ont mis en évidence la connexité de ces deux délits.

Face aux obligations déclaratives des experts comptables et des commissaires aux comptes, les officines apparaissent comme des véhicules idéaux utilisés en matière de blanchiment des gains criminels.

Le 14 septembre 2017, l’émission Complément d’enquête de France 2, a diffusé un long sujet consacré au blanchiment du trafic de stupéfiants dans le département de Seine Saint Denis. Cette passionnante enquête a notamment permis de mettre en évidence, le rôle déterminant d’un comptable illégal dans le processus de blanchiment de fonds d’origine criminelle portant sur plusieurs millions d’euros. Individu ayant préalablement fait l’objet d’une plainte pénale de la part de l’Ordre, pour son activité délictuelle. On peut noter dans le reportage, qu’il indique au client potentiel (en fait le journaliste), qu’il peut blanchir 450 000 € sans aucune difficulté.

A visionner ici:

Financement du terrorisme

Le cas 34 du rapport TRACFIN 2018/2019 fait apparaître deux sociétés comptables illégales ayant notamment permis de détourner des véhicules grâce à des faux bilans ; voitures ayant été détournées pour financer des projets terroristes d’envergure qui devaient avoir lieu sur le territoire national.

Quelques cas particuliers

Sociétés de domiciliation

À côté de sociétés de domiciliation sérieuses, fleurissent aujourd’hui, à Paris et en région parisienne, de nombreuses entités domiciliataires à la moralité douteuse ; bien qu’elles soient astreintes elles aussi à une obligation de déclaration de soupçon, les déclarations faites à TRACFIN ne sont absolument pas à la hauteur du nombre de situations frauduleuses (9 en 2016).

Elles abritent, outre des entreprises éphémères impliquées dans de vastes escroqueries et fraudes fiscales et sociales, des entreprises domiciliées qui chargent ces domiciliataires de la tenue de leur comptabilité, car ces prestations leur sont fréquemment proposées lorsqu’elles signent le contrat de domiciliation.

Liquidateurs professionnels

Ce sont des illégaux connus sur la place, qui organisent pour le compte de leurs clients des liquidations rapides « clé en main » pour 500 €. Ces entreprises souvent « dirigées » par des gérants de paille, certains pouvant détenir plus de 100 mandats à titre personnel, disparaissent ainsi en un tour de passe-passe.

Grâce à des manipulations de comptes, les actifs sont détournés pour être employés dans d’autres projets ; il ne subsiste alors que les passifs.

Sociétés éphémères

Souvent réfugiées dans des sociétés de domiciliation peu scrupuleuses, parfois clandestines, elles sont le lieu de commission idéal de l’ensemble des infractions qui peuvent être liées aux entreprises et à leur fonctionnement. Conçues par des illégaux puis rapidement liquidées par ces mêmes illégaux, elles sont créées pour les besoins de la cause et utilisées de façon quasi-systématique en matière d’escroqueries ayant pour objectifs le détournement de fonds et de matériels divers (véhicules, photocopieurs, produits informatiques…), mais aussi, dans les carrousels à la TVA et les escroqueries visant les allocations de chômage à travers le fonds de garantie des salaires (UNEDIC-AGS).

Répartition géographique des illégaux

  • Paris 27%
  • Seine saint Denis 18%
  • Hauts de Seine 15%
  • Val d’Oise 11%
  • Essonne 10%
  • Val de Marne 7%
  • Yvelines 6%
  • Seine et Marne 6%